Espagne mise à jour Octobre 2024 suite

1 novembre 2024
Icarus

lundi, 30 septembre 2024  

Après avoir été occupé à la comptabilité pendant nuit et jour, Dirk a commencé  à vider la réserve au-dessus de la clinique. Celle-ci regorge de matériel médical âgé d’une vingtaine d'années, et il est impératif qu’on s’en débarrasse avant l'arrivée de Marianne... Un travail de longue haleine car à son grand déplaisir, je contrôle avec des yeux d'Argus pour que rien ne se perde, car comme la plupart des gens je peux difficilement me débarrasser de quoi que ce soit. Yeux d'Argus ou pas, sa frénésie du nettoyage se traduit par plus de 10 grands sacs poubelles remplis d’équipement de réserve qui était déjà inutilisable dès l'instant où nous l’avions reçu. Une fois, son travail terminé et après des jours de pluies torrentielles impitoyables et de rafales de vent, il se rend au refuge le vendredi, sous un faible soleil afin de jeter un coup d'œil au refuge où des photos doivent être prises. « Je t’accompagne »,  dis-je d'un ton décisif quand il est prêt à partir. Il n'est pas d'accord, mais sa tirade sur ce que le médecin dirait et le fait qu'il menace même de le dire au médecin, n'a aucun effet parce que je maintiens ma décision. Quelques minutes plus tard, je dois serrer la mâchoire pour ne pas hurler de douleur lorsque nous empruntons le chemin de terre, plein de boue et d'entonnoirs de bombes, afin d’atteindre le refuge. Comme toujours, après avoir vu les nombreux galgos qui attendent tous, désespérément un foyer, je rentre chez nous, une heure et demie plus tard, avec la tête pleine d'inquiétudes et je m’énerve à propos de l'approche de la saison de chasse. Les galgos qui ne passent pas l’inspection, sont déjà abandonnés en grand nombre. L'exemple vivant en est un très jeune mâle, d'à peine un an, qui ressemble à un squelette vivant plein de blessures et de plaies. «  Les salauds, » dis-je avec dégoût, « comment peut-on faire ça à un animal et aller au lit sans remords ». Dirk répond laconiquement « comme tu es restée naïve après toutes ces années de misère, de souffrance et de chagrin ». Lorsque nous arrivons à Casa Belgica, nos chiens sont aux anges. C'est comme si nous étions partis pendant une semaine. À cause de leur enthousiasme, j'ai du mal à me tenir debout, seul Pistorius reste couché. Quand je les gâte avec des friandises, une tradition quand on rentre à la maison, je dois les déposer sur sa chaise longue. Dirk et moi, sommes inquiets au sujet du chien branlant qui nous a été déposé, il y a 8 ans, après avoir été pris au piège. Il avait rongé son pied et avait traîné le reste, pendant des semaines, derrière lui. Il a fallu près de 2 mois, avant qu'un groupe de soutien puisse l'« attraper » et nous l'amener. Heureusement, Anne et Fred étaient là pour opérer et stériliser, et Anne a réussi à fabriquer un moignon avec ce qui restait de la peau, des os et des tendons déchiquetés pour qu'il puisse marcher dessus. Depuis lors, il a toujours été discret mais très heureux de sa nouvelle vie et a toujours voyagé avec nous et sa famille de congénères entre l'Espagne à la Belgique et vice versa. Peut-être que le fait qu'un orteil ait récemment été amputé de sa patte avant, qui a bien guéri d'ailleurs, y est pour quelque chose, me dis-je en m’inquiétant.

Vendredi 11 octobre 2024 

Après de nombreux jours, nous nous sommes demandés si un ouragan n'avait pas fait une erreur dans sa route car il avait tout déversé sur Calypo. Une vraie misère pour les chiens et pour nous et surtout pour Pistorius car le pauvre pouvait à peine se tenir debout sur la terrasse humide pour faire pipi et sortait à peine de son donut de peur de tomber. Je savais que tomber n'était pas une option, surtout quand Dirk était quelque part derrière ou en-haut, parce que seule je ne peux pas relever Pistorius car il panique toujours terriblement. Il est trop lourd et il crie toujours de douleur quand on veut le soulever, quelque chose que je ne peux pas faire d'ailleurs car il est assez lourd. 

Heureusement, le temps s'éclaircit un peu au bout de quelques jours et aujourd’hui, nous pouvons enfin prendre de nouvelles photos au refuge. Malgré la même discussion sur le fait de savoir si je dois ou non, accompagner Dirk, je l’accompagne quand même et, la mâchoire serrée, j'endure à nouveau la route de boue sinueuse où les pluies des jours précédents ont laissé leurs traces et ont tiré des sillons encore plus profonds et des gouffres pleins de boue et des bosses glissantes et je suis soulagé lorsque nous arrivons, enfin, en glissant au refuge. Comme toujours, je suis sous l’effet des aboiements et des hurlements des nombreux chiens dont le seul divertissement est la visite des visiteurs et croyez-moi, ils nous connaissent. Ils reconnaissent surtout mon parfum, affirme Marie-Carmen... En tout cas, prendre des photos est un travail de longue haleine et il faut le temps nécessaire et surtout de la patience pour faire poser les chiens. À ma grande frustration, certains adoptants potentiels trouvent que certains chiens ont l’air tellement peureux, mais ils ignorent que le fait de poser n'est pas donnée à tout le monde. Surtout, il faut savoir qu'ils sont amenés dans l'enclos intérieur et qu'on nous les amène un par un, pour qu'on les prenne en photo, ce qui est complètement hors de leur zone de confort. Dites-moi comment serait notre réaction à une telle situation ? Les chiens n’ont pas l’avantage de recevoir une explication afin de les rassurer au sujet de ce qui va se passer. Bien sûr, il y a toujours ceux qui sont, pour ainsi dire, nés pour être devant l’objectif et qui se sentent tout à fait à l'aise. Il y a aussi ceux qui se jettent à l’eau et qui prennent plaisir à poser. Et puis, il y a d’autres qui n'aime pas du tout et à qui il faut consacrer du temps pour les convaincre. Personnellement, j'appartiens à la deuxième catégorie car je ne me sens pas à l'aise devant l'objectif et je déteste être photographiée, mais je n'ai généralement pas le choix. Quand nous rentrons à la maison au bout de deux heures environ, je dis à Dirk qu'il y en a quelques-uns qui resteront graver dans ma tête. Il me répond par un regard sans équivoque....

Samedi 12 et dimanche 13 Octobre 2024.

Aujourd'hui les Espagnols ont leur fête national. Une fête qui va de pair avec le début de la chasse aux lapins et autres animaux que ces messieurs les chasseurs ont en ligne de mire... En principe, la chasse ne commence que le 15 octobre, mais cela ne vient pas à quelques jours de plus ou de moins... Dehors, il « pleut des cordes » et un vent de tempête souffle  tellement que nos palmiers sortent presque de terre. Néanmoins, l'enfer a commencé à se déchaîner et un barrage de coups de feu retentit dans le vaste campo qui nous entoure. Je ne peux qu'espérer que les chasseurs s'enlisent dans la boue et que le plus grand nombre possible de chiens puissent s'échapper. Malheureusement, les galgos ont été dressés par leurs propriétaires de telle manière qu'ils sont trop traumatisés pour s'enfuir et retournent toujours vers leurs bourreaux par peur de représailles. Malgré le « temps de chien », les coups de feu retentissent et se poursuivent pendant toute la journée. Après toutes ces années, nos galgos se rappellent encore toujours ce que cela signifie, surtout Pistorius grelotte dans son donut. Bien que le vétérinaire ait déclaré après une prise de sang que tout allait bien sauf son grand âge, son état se détériore. Personne ne connaît son âge exact, mais quand ils l'ont amené, il avait 4 à 5 ans, et il est avec nous depuis 9 ans maintenant, donc il pourrait avoir 13 ou 14 ans. J'ai du mal à y croire. C'est comme s'ils l'avaient amené hier. Les années passent tellement vite. C’est hallucinant et effrayant, surtout pour moi car si j'ajoute 9 ans j'arrive à 87 !! Enfin, si jamais j'arrive jusque-là...

Au cours de l'après-midi, il pleut encore et pendant que nous sommes assis derrière notre PC, Pistorius parvient à se lever. Il doit probablement faire pipi ou peut-être plus. Apparemment, il a titubé jusque dans la véranda, y a trébuché, a uriné et a pleuré à chaudes larmes. Avec beaucoup de difficulté, Dirk le remet dans son donut mais il continue à gémir. Parce que je pense qu'il a mal, Dirk lui donne du Metacam. Le soir, il refuse de manger et continue à gémir pendant toute la soirée et toute la nuit et nous lui donnons, de nouveau, du Metacam pour combattre la douleur. Toute la nuit, nous devons sans cesse nous lever et nous nous sentons infiniment impuissants. Tôt le matin, nous appelons Marie-Carmen pour lui dire que Pistorius est proche de la mort et nous lui demandons de bien vouloir appeler le vétérinaire. Lorsqu'elle se présente à la porte une demi-heure plus tard, en compagnie du véto, et qu'il examine Pistorius, il ne peut que confirmer qu'il est très vieux et mourant. Malgré tous les signes, Dirk et moi, avons l’air perdu. Alors qu'il y a encore beaucoup de coups de feu qui retentissent dans le campo, à l'aube, Pistorius part pour le paradis des chiens, entouré de ceux qui l'aiment et je lui murmure à l'oreille « un jour nous nous reverrons.. »

Jeudi 17 octobre 2024.

Au cours de la matinée, Marie-C nous appelle en disant qu'un homme (un galguero) s'est inscrit chez le vétérinaire local, avec un galgo ayant une patte avant fracturée. Après que le vétérinaire ait pris une photo de la fracture, il dit au propriétaire que le chien a besoin d'être opéré d'urgence par un spécialiste. Sur quoi le propriétaire fait une scène et crie qu'il n'a pas d'argent pour cela et que le chien, qui a à peine 4 ans, doit être euthanasié. Si le vétérinaire refuse d'euthanasier l'animal, il laisse le chien sur place... Dès que Marie-Carmen a raconté son histoire, j'envoie un mail au docteur De Frutos qui se trouve être en vacances. La clinique n'est ouverte que pour les consultations et le véto ne sera de retour qu’à partir du 28 octobre, voilà tout ce que je sais... comme de bien entendu, le petit mâle vient à Casa Belgica au cours de l'après-midi. Il est silencieux, bien élevé, calme, magnifiquement bringé avec une touche de blanc mais surtout, il souffre beaucoup de sa patte difforme, pauvre petit paria. Heureusement, nous avons pu éviter sa mort prématurée. Quand je pense à quel point nous pleurons notre vieux Pistorius, je me révolte à l'idée qu'ils aient pu traiter le pauvre chien, que j'ai immédiatement baptisé Icare, comme la pire des saletés. Jugé inutilisable, il suffit de le jeter à la décharge avec tous les autres galgos assassinés. Cela n’a d’ailleurs rien d'extraordinaire en Espagne, c'est juste un fait divers, une bagatelle négligeable. Après tout, ce ne sont que des galgos, n'est-ce pas ? Les chasseurs décident entièrement du destin de ces pauvres animaux ... Pour vous arracher les cheveux de colère, d'agacement et de frustration. Je n'ai même pas besoin de m'arracher les cheveux car à cause de toute la misère et de toutes les horreurs auxquelles nous sommes confrontés, mes cheveux tombent d’eux-mêmes. Après avoir pris quelques photos, Dirk emmène Icare à notre clinique, lui met un nouveau pansement plus solide et lui donne une gamelle de nourriture et un bol d’eau, qu'il apprécie intensément. Demain à 15H00, après consultation, un chirurgien compétent viendra l’opérer au domicile du vétérinaire local. Après quoi, il viendra à Casa Belgica pour se rétablir et en novembre, il nous accompagnera en Belgique. La première victime de la chasse nous est donc déjà parvenue... Après une nuit tranquille, il est emmené chez le vétérinaire peu après l’heure du midi et rentre « à la maison » plus de 5 heures plus tard opéré et castré. Avant d'être placé dans un chenil, dans notre clinique, Dirk applique un nouveau pansement. Le soir, il prend un repas léger et pendant que Dirk change sa literie ensanglantée, il sort pour faire pipi en ma compagnie. Puis il se presse doucement contre moi et je sens qu’un frisson le traverse. Je ressens la même chose que lui, soupir...

 

Mardi 22 octobre 2024.

Après une journée à la clinique, Icare a décidé que son séjour a été assez long et s’est mis à aboyer misérablement. Après un examen plus approfondi, il semble qu’il s’est  «  libéré » de son chenil afin de pouvoir  gémir plus sérieusement. Nous sommes surpris de sa façon d’agir, mais nous savons qu'il est inutile d'insister. Nous l'avons donc laissé sortir sur la terrasse où nos chiens se sont bousculés à la grille afin de faire connaissance avec le  nouveau venu. Après maints reniflements, ils lui ont assuré qu'il n'avait rien à craindre et les galgos lui ont très probablement raconté qu'ils étaient tous venus par le même chemin et que certains étaient même autorisés à rester pour toujours, quelles commères... Sachant que nous pouvons compter sur nos infirmières à quatre pattes et longs nez et nos psychologues qui acceptent tous les chiens et les mettent aussitôt à l'aise, nous l'avons présenté à la meute. 

Tout s'est très bien passé et le soir, il a déjà mangé un bol avec le reste de la bande et  quand tout le monde fut installé dans les fauteuils, il est entré à petits pas dans la véranda, puis ce fut le tour de la cuisine où il s'est blotti maladroitement dans un donut. La nuit, il a dormi, pour la première fois de sa vie, de manière profonde et quand nous nous sommes levés le matin, nos 2 galgos restants, Tito et Hyppolythe, s'étaient couchés dans les donuts à sa gauche et à sa droite. Beau et attachant à voir. Incroyable nos chiens, dialogue sans mots, ils n’ont pas besoin de paroles pour communiquer et rassurer les nouveaux venus. Idem pour nos barzoïs, les lévriers constituent une race sans pareil, n’est-ce pas.. Quoi qu'il en soit, depuis ce jour, c'est comme s'il avait toujours vécu ici. Il laisse soigner calmement sa blessure et depuis quelques jours, il se presse entre les chiens le matin, remuant la queue pour nous saluer. Désastre, oh désastre, encore un qui pense qu'il est arrivé là où il est censé vivre pour le restant de ses jours ..

C'est mauvais pour mon cœur et pour ma conscience, mais aussi pour Dirk, parce que nous devons faire de la place pour les victimes à venir. Mais ce sont des soucis pour demain, donc d'ici là, il doit rester parce qu'il faut s'occuper de sa patte, et ainsi de suite, et ainsi de suite. De cette manière, nous nous réconfortons mutuellement... D'ailleurs, vendredi prochain nous partons pour la Belgique pour la promenade d'Halloween et nos chiens doivent partir en pension et la place d'Icare est également réservée et ses soins également. Soupir...